Témoignage André KILLHERR (ST-TP 70)

L’EXPERTISE JUDICIAIRE et L’EXPERT DE JUSTICE – APERCUS

 

Par André KILLHERR, diplômé ENSAIS – TP 1970 Ancien expert de justice près la Cour d’Appel de METZ Ancien expert de justice près la Cour Administrative d’Appel de NANCY Administrateur chargé de formation à la Compagnie des Experts de Justice près la Cour d’Appel de METZ

Préambule

En ce mois de mars 2020, j’ai déposé au greffe du Tribunal de Justice de METZ mon dernier rapport d’expertise judiciaire, quelques jours avant le début de la période de confinement.

A cette occasion, je me suis dit qu’après 15 ans de pratique de cette fonction, mon expérience était peut-être de nature à pouvoir intéresser les ingénieurs et architectes diplômés de l’école, aujourd’hui INSA de STRASBOURG. Le présent article n’a pour objet, comme son titre l’indique, que de donner un aperçu de la fonction d’expert judiciaire dans le cadre de l’organisation de la justice en France.

Son sommaire sera le suivant :

- Qu’est - ce qu’un expert de justice ?

- Comment le devenir ?

- Quels sont les pré- requis ?

- Dans quel cadre son action se déroule - t - elle ?

- Quels sont les autres intervenants à l’expertise ?

- Que sont les opérations d’expertise judiciaire ?

- Les obligations de l’expert et ses assurances ?

- Quelles sont les organisations d’experts oeuvrant en France ?

 

Qu’est - ce qu’un expert de justice ?

C’est un professionnel qualifié et expérimenté dans les matières scientifiques ou techniques de sa spécialité, reconnu par le monde professionnel auquel il appartient, et par la justice. Son inscription sur une liste ou un tableau d’experts l’engage à mettre ses compétences au service de celle-ci. Il est reconnu comme tel par ses pairs dans son domaine d’activité, mais également par la justice, qui l’évalue lors de son inscription et de ses réinscriptions ; sa compétence scientifique et technique, pour s’exercer utilement dans le cadre de la justice, s’accompagne de la connaissance des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien, ainsi que d’indispensables qualités humaines, comportementales et d’aptitude à la communication. A l’instar du juge, l’expert doit être en mesure d’exprimer son avis en toute indépendance.

NB : Dans cette définition, tous les mots ci-dessus sont réfléchis, précis et indissociables.

 

Comment le devenir ?

Le processus débute par une candidature adressée par le postulant à Monsieur le Procureur de la République du Tribunal de Justice, soit de son lieu de résidence permanente, soit du lieu d’exercice de sa profession. Il recevra un dossier à remplir, accompagné des pièces justificatives demandées, et devra le déposer avant le 1er mars de chaque année.

Après ce dépôt, une démarche d’instruction de la candidature se déroule, suivant les modalités fixées dans les décrets 2004-1463 du 23 décembre 2004 et 2012-1451 du 24 décembre 2012 pour les juridictions civile et pénale, et le décret du 13 août 2013 pour la juridiction administrative.

Les principales étapes de celle-ci sont résumées comme suit :

- enquête de personnalité, de probité, d’honneur et de bonnes mœurs ;

- recueil par le Procureur de la République de tous renseignements sur les mérites du candidat ;

- transmission des dossiers de candidatures à la compagnie des experts de justice près la Cour d’Appel pour examen et avis avant le 1er mai ;

- transmission des demandes à la commission d’examen composée de magistrats et d’experts désignés sur proposition du Président de la Compagnie des Experts ;

- premier filtre par le Procureur de la République, puis transmission du dossier au Procureur Général près la Cour d’Appel dans la deuxième semaine du mois de septembre ;

- saisine par le Procureur Général du (de la) Premier(e) Président(e) de la Cour d’Appel ;

- examen de la liste des experts par l’assemblée générale des magistrats du siège dans la première quinzaine du mois de novembre, qui dresse la liste des experts agréés.

L’expert retenu par l’assemblée générale est avisé du succès de sa démarche par le (la) Premier(e) Président(e) de la Cour d’Appel, et invité à la cession solennelle de prestation de serment en février de l’année suivant celle de sa candidature. L’expert ainsi retenu est inscrit sur la liste des experts près la Cour d’Appel, pour une première période probatoire de trois (3) ans, à l’issue de laquelle il refait une demande suivant le même processus pour une (ou plusieurs) périodes de cinq (5) ans, avec une limite d’âge fixée à 70 ans pour une candidature.

L’expert est inscrit dans une (ou plusieurs) des rubriques retenues par la Cour en conformité avec les dispositions des arrêtés du 10 juin 2015 et du 12 mai 2006 (juridictions civile et pénale) et du 19 novembre 2013 (juridiction administrative). La nomenclature est unique pour tout l’ordre judiciaire, et comporte les 8 rubriques expertales principales suivantes :

  1. Agriculture – Agro-alimentaire – Animaux – Forêts, composée de 14 rubriques regroupant 68 sous - rubriques ;
  2. Arts – Culture – Communication – Médias - Sport, composée de 6 rubriques regroupant 31 sous – rubriques ;
  3. Bâtiment – Travaux Publics – Gestion immobilière, composée de 2 rubriques regroupant 33 sous – rubriques ;
  4. Economie et Finances, composée de 7 rubriques regroupant 14 sous – rubriques ;
  5. Industries, composée de 9 rubriques regroupant 39 sous – rubriques ;
  6. Santé, composée de 10 rubriques regroupant 66 sous – rubriques ;
  7. Médecine légale, criminalistique et sciences criminelles, composée de 3 rubriques regroupant 27 sous – rubriques ;
  8. Interprétariat – Traduction, composée de 3 rubriques regroupant 14 sous rubriques.

A l’inverse de son acceptation, un expert peut aussi faire l’objet d’une radiation, dans les conditions exposées plus loin au chapitre consacré aux obligations de l’expert.

NB : Pour la juridiction civile, j’ai déposé mon dossier de candidature au TGI de METZ le 18 février 2005. Par courrier du 25 novembre 2005, j’ai été informé de mon admission à compter du 1er janvier 2006 pour une période probatoire de 2 ans (portée à 3 ans par la suite), dans la rubrique C1 – Bâtiment – Travaux Publics, en sous – rubrique C1.10 Génie Civil. J’ai prêté serment lors de la séance solennelle à la Cour d’Appel de Metz le 25 janvier 2006, et ai été renouvelé pour 2 périodes de 5 ans jusqu’au 31 décembre 2017. Atteint par la limite d’âge, une dernière demande de renouvellement n’était plus possible.

Pour la juridiction administrative, j’ai déposé une demande le 17 novembre 2003 à la Cour Administrative d’Appel de NANCY, et ai reçu un courrier d’admission de Monsieur le Président de cette cour le 28 novembre 2003. Celle – ci est restée effective jusqu’au 31 décembre 2017, où elle n’a pas été prolongée pour la même raison de limite d’âge.

 

Quels sont les pré- requis ?

Ces pré – requis découlent des éléments exposés dans le chapitre « Qu’est - ce qu’un expert de justice ? » ci – dessus.

En premier lieu, s’agissant des compétences techniques et / ou scientifiques, le candidat doit joindre au formulaire les copies des diplômes et attestations de formations complémentaires obtenus à la date de sa demande. Des références de publications scientifiques et / ou techniques sont aussi appréciées, de travaux effectués, de même que l’appartenance à des organisations professionnelles et / ou amicales reconnues.

NB : un architecte et un ingénieur diplômé de l’Ecole présentent les compétences de base requises, complétées par des références de déroulement de carrière à l’appui, démontrant une expérience confirmée dans l’exercice des rubriques convoitées.

En second lieu, le candidat doit attester de la connaissance des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien, ainsi que d’indispensables qualités humaines, comportementales et d’aptitude à la communication. A cet effet, il est recommandé voire indispensable de suivre une formation dispensée par l’une ou l’autre des compagnies d’experts, à savoir le cursus d’une formation du type « DIU - Diplôme Interuniversitaire de formation à l’expertise judiciaire » agréé par la magistrature, qui y intervient.

NB : la nécessité de passer un tel DIU est devenu un préalable quasiment indispensable ; votre serviteur a passé par cette étape en 2004, à la faculté de médecine de NANCY.

En troisième lieu, à l’instar du juge, l’expert doit être en mesure d’exprimer son avis en toute indépendance ; cela implique qu’il devra veiller à être en mesure de pouvoir prouver l’absence de tout conflit d’intérêt en cas de demande du Tribunal ou d’une partie prenante à une expertise.

NB : par exemple, la candidature d’un expert d’un cabinet d’expertise missionné par les compagnies d’assurances ne pourra être retenu comme expert de justice.

 

Dans quel cadre son action se déroule - t – elle ?

Son action se déroule dans le cadre général de la justice européenne et française. Enoncés par l’article 6 de la CEDH (Convention Européenne des Droits de l’Homme), les impératifs d’impartialité et d’indépendance, de respect des droits de la défense, d’égalité des armes et de délai raisonnable, sont également l’objet des articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux entrée en vigueur en vertu du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

L’organisation de la justice en France repose sur des principes fondamentaux, et est le fruit d’une histoire. Les principes fondamentaux se résument comme suit : - La justice est un service public ; - La justice veille au respect des lois ; - La justice est gardienne des libertés individuelles et des droits fondamentaux.

Il est utile de rappeler que l’action de l’expert s’inscrit pleinement dans ces principes, et sous l’autorité du pouvoir judiciaire, représenté par un juge, dont l’indépendance est garantie par la Constitution française (article 64), et par la CEDH - Cour Européenne des Droits de l’Homme (article 6.1).

Les autres principes fondamentaux applicables sont le droit d’accès gratuit à la justice, le droit au double degré de juridiction, le droit au recours aux juridictions suprêmes, la publicité des débats, et la motivation des décisions.

Dans ce cadre, l’organisation judiciaire de la justice en France, dans laquelle l’expert est amené à intervenir, se décline comme suit :

- Les juridictions de l’ordre administratif ;

- Les juridictions de l’ordre judiciaire (civiles et pénales) ;

- Le tribunal des conflits. La séparation des compétences est fonction de la nature des litiges :

- Un litige opposant une personne physique ou morale à une autorité publique relève des juridictions de l’ordre administratif ;

- Un litige opposant une personne physique ou morale à une autre personne relève des juridictions de l’ordre judiciaire (civiles et pénales) et du tribunal des conflits.

Les juridictions de l’ordre administratif sont :

- les tribunaux administratifs (juridictions de 1er degré),qui traitent notamment des contentieux fiscaux, électoraux et de travaux publics ;

- les cours administratives d’appel (juridictions du 2 ème degré), qui traitent les appels du 1er degré ;

- le Conseil d’Etat en dernier lieu, qui traite de contentieux de 1er degré, de 2ème degré et principalement de cassation.

Les juridictions de l’ordre judiciaire sont :

- les juridictions de 1er degré, qui sont les juridictions civiles de droit commun (tribunal de justice, juridiction de proximité), les juridictions civiles spécialisées (tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes, tribunaux des baux ruraux, tribunaux des affaires de sécurité sociale, tribunaux des pensions, commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales), les juridictions pénales (cours d’assises, les tribunaux correctionnels, les tribunaux de police, les juridictions de proximité), les juridictions pénales spécialisées (tribunaux pour enfants, les tribunaux d’application des peines, les 5 juridictions militaires), les juges spécialisés (de l’exécution, aux affaires familiales, des enfants, des libertés et de la détention, de l’application des peines de l’expropriation, d’instruction) ;

- les cours d’appel sont composées de plusieurs chambres spécialisées, et statuent sur les affaires jugées en 1ère instance ; elles rendent des « arrêts » ;

- la Cour de Cassation a une double mission : uniformiser l’interprétation des textes (jurisprudence) et apprécier la légalité des jugements et arrêts.

Le tribunal des conflits a pour missions de déterminer de quel ordre de juridiction relève les litiges qui lui sont soumis, de juger de la compétence mais jamais du fond, et de statuer sur les divergences d’appréciation des décisions rendues par les deux ordres.

Les experts peuvent être missionnés par toutes les juridictions citées ci – dessus, mais pour l’essentiel, par les juridictions du 1er degré, et parfois du 2ème degré.

NB : pour ce qui me concerne, j’ai été désigné en qualité d’expert par les tribunaux administratifs du Grand Est en première instance, et par la Cour Administrative d’Appel de NANCY en deuxième instance. En juridiction civile, les tribunaux d’Instance et de Grande Instance de Metz, Sarreguemines et Thionville ont fait appel à mes services, ainsi que la Cour d’Appel de METZ.

 

Quels sont les autres intervenants à l’expertise ?

Sont partis pris dans une expertise judiciaire, le tribunal représenté par le juge et le greffe de la juridiction qui ont délivré l’ordonnance de mission à l’expert, les parties et leurs conseils (avocats et cabinets d’expertise), les experts et co – experts le cas échéant, et les sachants.

C’est le juge qui choisit l’expert et le désigne. Il a toute latitude pour choisir un expert inscrit sur une liste (matière civile et pénale), ou sur un tableau (matière administrative), ou en dehors de ceux – ci. Le principe est l’unicité d’expert au civil, au pénal et en matière administrative, mais les textes en vigueur donnent au juge la possibilité de désigner plusieurs experts ou un collège d’experts. Le principe de l’expert unique est la règle procédurale, il l’est aussi car la mission qui lui est confiée intuitu personae, ce qui signifie qu’il ne peut la déléguer.

Le greffe établit en règle générale un contact préalable avec l’expert avant la délivrance de l’ordonnance de mission, pour s’assurer de sa compétence technique eu égard au litige à traiter, de sa disponibilité et de l’absence de cause éventuelle de récusation.

Les parties requièrent le concours de conseils, en premier lieu les avocats. S’agissant de la (ou des) partie(s) plaignante(s) ou demanderesse (s), l’avocat a pour rôle auprès de son (ses) client(s) de lui (leur) expliquer d’abord la nécessité de recourir à une expertise, de la nécessité de l’expliquer au juge et parfois de l’en convaincre, et de la nécessité de formuler les bonnes questions. Il intervient au soutien des intérêts de son (ses) client(s) et l’(les) accompagne lors des opérations d’expertise. Il en est de même pour l’avocat de la (des) partie(s) défenderesse (s) au litige. Il veille en particulier sur le respect strict du caractère contradictoire des opérations menées par l’expert.

Se rangent aussi parmi les conseils des parties en second lieu, des experts oeuvrant soit à titre individuel, soit en cabinets d’expertise, qui sont missionnés par l’une ou l’autre des parties, pour intervenir 6 au plan technique et au côté de leur avocat, au soutien des intérêts de leurs mandants. Il s’agit dans la majorité des cas, d’experts missionnés par les compagnies d’assurances appelées à la cause.

L’expert désigné peut se faire assister dans une (ou des) spécialité(s) différente(s) de la (des) sienne (s), par le recours à un autre technicien couramment appelé « sapiteur » qu’il choisira et proposera à l’agrément du juge en matière civile et pénale, et en matière administrative, sur sa demande, par désignation du Président de juridiction. Cela est le cas majoritairement pour des spécialités très fines. Cet expert intervient sous son contrôle et sa responsabilité.

NB : Dans mon domaine du génie civil, j’ai fait appel par exemple à des confrères experts de justice dans les spécialités du génie climatiques (CVC : chauffage – ventilation – climatisation), de l’acoustique (acoustique, bruit et vibrations).

Il peut aussi faire appel à des prestataires pour effectuer des investigations nécessitées par les opérations d’expertise de sa spécialité. Il s’agit alors de l’intervention de «sachants», qui prêtent leurs savoirs et expériences techniques à ces opérations. Ces spécialistes interviennent aussi sous son contrôle et sa responsabilité.

NB : Toujours dans le domaine du génie civil, j’ai fait appel à des bureaux d’études de sols (Fondasol, Compétence Géotechnique), des laboratoires (CEBTP), des bureaux d’études de structure (SECALOR, BE d’Ingénierie), et de maîtrise d’œuvre (établissement de préconisation de travaux de réparation et de remise en état, chiffrage de ces travaux).

Que sont les opérations d’expertise judiciaire ?

Les missions confiées aux experts de justice sont du domaine exclusif du juge, qui assure la définition de leurs contenus et leur rédaction, sous la forme d’ordonnances, qui en fixent aussi les délais. Ces ordonnances sont en quelque sorte la « feuille de route » de l’expert, son objectif et son programme de travail. La mission fixe les questions sur lesquelles le juge souhaite être éclairer avant de trancher, ce sont les seules auxquelles l’expert doit répondre. Toutefois, par écrit unanime, les parties peuvent demander l’extension de la mission à l’expert, qui par prudence, en informera le juge et pourra lui demander une ordonnance d’extension. En revanche, seul le juge pourrait ordonner une limitation de mission.

Ainsi les missions confiées aux experts en matière civile sont au nombre de trois (3), à savoir en ordre croissant d’importance et de complexité : - les constatations ; - la consultation ; - l’expertise. L’expert se doit de remplir sa mission, rien que la mission, mais toute la mission. D’où l’importance de la rédaction de cette dernière. Il est tenu au secret de l’instruction, en particulier dans le domaine pénal, au même titre que les magistrats, les greffiers, les policiers et gendarmes, et les avocats. L’expert ne dit en aucun cas le droit, mais il y est soumis.

NB : les juges désignant les experts font souvent appel dans leurs ordonnances de mission, aux missions – types élaborées par des commissions tripartites juges – avocats – experts ; ainsi la Cour d’Appel de Metz a 7 validé les missions – types pour les expertises médicales, en bâtiment (décennal), en ventes immobilières, les expertises mixtes (construction et vente immobilière) et les expertises phoniques.

Il n’entre pas dans le cadre de cet article de détailler l’exécution d’une expertise judiciaire et sa gestion, une littérature abondante en traite qu’il ne serait pas opportun de rapporter ici, la pagination d’une revue A&I n’y suffirait pas. Pour citer les principaux documents utiles, on voudra bien se reporter aux références bibliographiques mentionnées en fin du présent article.

Cependant, il me parait utile d’exposer les évolutions récentes en matière d’expertise judiciaire, à savoir la dématérialisation des opérations d’expertise et la rémunération des experts. S’agissant de la dématérialisation, les opérations d’expertise n’échappent pas à cette tendance générale ; la dématérialisation des procédures d’expertise relève du droit de la communication électronique, régi par le titre XXI du livre premier du CPC (Code de Procédure Civile), qui stipule que tout un ensemble de communications, actes convocations, diffusions de pièces, etc… peuvent être réalisés par voie électronique dans le respect de deux conditions :

- le destinataire doit consentir expressément à l’utilisation de cette voie de communication ;

- les procédés techniques utilisés doivent garantir une identification sécurisée et fiable des intervenants, l’intégrité des pièces échangées, la sécurité des communications et la traçabilité de celles – ci par horodatage.

Dans ce cadre, la chancellerie a imposé depuis le 1er septembre 2019 l’utilisation par les intervenants de la plate – forme OPALEXE qui a reçu son agrément. Les experts sont partie prenante de cette dématérialisation, ce qui demande de leur part une formation obligatoire à l’utilisation de cette plate – forme, appliquée en matière civile, et qui n’est pas gratuite. Les frais correspondants sont désormais pris en charge dans le cadre de la rémunération des experts pour leurs travaux.

S’agissant de la rémunération des experts, il faut signaler l’utilisation obligatoire en matière pénale du logiciel CHORUS PRO pour la facturation des frais, débours et honoraires des experts. La mise en route de ce logiciel a été laborieuse en 2015, mais elle semble ne plus susciter de critiques à ce jour, étant rappelé que ses objectifs sont d’accélérer les délais de paiement, une simplification des procédures, et la fin des couts postaux liés à la transmission des documents comptables. Ce logiciel n’est pas en usage en matière civile et administrative.

La rémunération des experts comporte la prise en charge en matière civile et administrative, des frais, débours et honoraires engagés par les experts, d’une façon générale par les parties plaignantes sur consignation préalable de provision. Les frais et débours sont composés des frais postaux, de déplacement (indemnité kilométrique, billets de transport, péages, parking, frais de restauration et d’hôtellerie), de secrétariat (dactylographie, photographies, photocopies), et des factures des «sachants». Les honoraires sont basés sur le temps passé, et l’application d’un taux horaire, qui varient selon la spécialité de l’expert, son niveau d’activité et la technicité des moyens mis en œuvre, et des Cours d’Appel de rattachement. Il faut signaler le cas particulier des Cours d’Appel d’Alsace – Moselle (Colmar et Metz), qui sont assujetties au droit local, où les présidents de cours fixent annuellement les montants des honoraires par catégories, ainsi que les montants des indemnités kilométriques, de dactylographie, photocopies, de photographies, et de correspondances. Pour les professions médicales et les experts intervenants en matière pénale, les coûts engagés par ceux – ci sont pris en charge par le trésor public.

NB : A titre d’exemple, voici les éléments de calcul des vacations d’expertise judiciaires en matière civile pour 2019 pour la Cour d’appel de METZ :

- Premier groupe : Architectes et ingénieurs du bâtiment et des travaux publics - experts comptables, finances, gestion d’entreprises, diagnostic d’entreprise, fiscalité - industries, électronique, informatique, énergie, pollution, mécanique, métallurgie, produits industriels, transports - investigations techniques et scientifiques - santé, vétérinaires : 95 à 140 € ;

- Deuxième groupe : Autres professionnels du bâtiment – géomètres - gestion sociale - agriculture, agroalimentaire, animaux, forêts - armes, munitions - arts, communications, médias – automobiles, bateaux, plaisance – écriture – estimations immobilières : 85 à 120 € ;

- Troisième groupe : interprètes, traducteurs : 60 à 100 €. - Expertises médicales : établissement du dommage corporel = forfait 800 € TTC – responsabilité médicale = forfait 1400 € TTC - expertise psychiatrique = forfait 700 € - expertise psychologique = 800 € (une personne), 800 € (JAF : un enfant et ses parents), 1000 € (JAF : plusieurs enfants et leurs parents). Aux montants exposés ci – dessus, s’appliquent ou non la TVA en fonction du statut fiscal de l’expert.

Les obligations de l’expert et ses assurances ?

Les obligations de l’expert sont nombreuses et variées.

En tout premier lieu, il faut mentionner la prestation de serment de l’expert en séance solennelle devant la Cour d’Appel de rattachement, serment qui stipule : « Je jure d’apporter mon concours à la justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport et donner mon avis en mon honneur et conscience ». Devant la Cour Administrative d’Appel, le serment est libellé comme suit : « Je jure d’apporter mon concours à la justice, d’accomplir ma mission avec conscience, objectivité et impartialité ». Ses obligations « contractuelles » découlent de ces dispositions.

En second lieu, l’expert est tenu de n’accepter des missions que dans la limite de ses compétences techniques, et dans le strict respect d’indépendance vis-à-vis des parties, sous peine de récusation ultérieure.

En troisième lieu, l’expert fait connaître tous les ans avant le 1er mars à la Cour d’Appel (président-e et procureur-e général-e), la liste des rapports qu’il a déposés au cours de l’année précédente, ainsi que, pour chacune des expertises en cours, la date de la décision qui l’a commis, la désignation de la juridiction qui a rendu cette décision et le délai imparti pour le dépôt du rapport. Dans les mêmes conditions, il porte à leur connaissance les formations suivies dans l’année écoulée et mentionnant les organismes qui les ont dispensés.

En quatrième lieu, l’expert n’est pas exempt des évolutions de la société, en particulier de celle du déclin du respect pour l’institution judiciaire, et partant, de celui du respect de l’expert au service de celle - ci. Sa responsabilité civile obéit aux règles de droit commun, étant précisé qu’il y a lieu de distinguer sa situation selon qu’il est désigné par une juridiction judiciaire ou administrative, de celle où il est sollicité à titre de conseil technique par une partie pour l’assister durant une expertise. Dans ce cadre, il est constaté l’accroissement au cours des années, d’actions en responsabilité à l’encontre des experts, suite-à diverses formes d’agression dont il peut être l’objet en cours d’expertise ou à l’issue du dépôt de son rapport de la pat de plaideurs irrités par ses découvertes ou mécontents de ses conclusions. De ce fait, Il est hautement recommandé aux experts de souscrire une assurance en responsabilité civile, et certaines juridictions demandent aux experts avant désignation de leur fournir une attestation prouvant cette souscription.

NB : votre serviteur a souscrit une police d’assurance de groupe proposée par la Compagnie des Experts près la Cour d’Appel de Metz auprès de la compagnie AXA.

 

Quelles sont les organisations d’experts oeuvrant en France ?

En France, l’expert peut s’appuyer sur un certain nombre d’organismes, et en premier lieu la Compagnie des Experts (CEJ) de sa Cour de rattachement. La compagnie a un statut d’association, et a pour but de regrouper les experts de justice de toutes disciplines de compétences techniques, présentant toutes conditions d’indépendance et d’honorabilité, d’assurer la représentation de la fonction d’expert auprès de la Cour de rattachement et des juridictions de leur ressort, de défendre les intérêts moraux et matériels de leurs membres, et notamment de veiller à la garantie de leur titre, d’assurer le respect de leurs règles de déontologie, d’assurer la liaison de ses membres avec les magistrats, d’établir des relations inter - professionnelles et amicales tant entre ses membres qu’avec ceux des autres compagnies, d’intervenir sur demande motivée dans les différends pouvant s’élever entre eux ou l’un d’eux et des tiers, de promouvoir, d’organiser et d’assurer la formation de experts de justice. NB : votre serviteur a été membre de la CEJCAM (Compagnie des Experts près la Cour d’Appel de Metz), où j’ai été membre du conseil d’administration, trésorier puis chargé de formation, et membre de la CEJCAAN (Compagnie des Experts près la Cour Administrative d’Appel de Nancy).

En matière de formation, les compagnies de l’est de la France ont créé la FEJIRE (Formation des Experts Judiciaires Interprofessionnelles Région Est), gérée par la compagnie des experts près la Cour d’Appel de COLMAR, qui organise annuellement une formation de haut niveau à Strasbourg, agréée par les Cours d’Appel de COLMAR, BESANCON, METZ et NANCY, avec des ateliers thématiques. Cette formation n’est pas exclusive des autres actions de formation internes organisées par ailleurs par les compagnies.

NB : la CEJCAM organise tous les ans 2 actions de formation, l’une pour les nouveaux experts, l’autre pour les experts confirmés, et les « vendredis de l’expertise » chaque dernier vendredi de mois hors période estivale, avec à chacun un thème technique regroupant magistrats, avocats et experts. A titre d’exemple, le dernier « vendredi de l’expertise » qui s’est tenu le 28 février 2020 a eu pour thème « le retour d’expérience sur l’utilisation d’OPALEXE ».

Les compagnies d’experts près les Cours judiciaires et administratives, et des unions de compagnies d’expert, sont fédérées au sein du CNCEJ (Conseil National des Compagnies d’Experts de justice), reconnue d’utilité publique par décret du 31 mars 2008. Il a pour but la représentation, la formation et la promotion de la déontologie de leurs membres, en vue de développer et de maintenir à un haut niveau le service de la justice. Entre autres activités, le CNCEJ est coorganisateur tous les ans d’un colloque de haut niveau avec le CNB (Conseil National des Barreaux) traitant d’un thème commun entre avocats et experts, avec la présence de magistrats des plus hautes juridictions françaises, et est partie prenante de la REVUE EXPERTS, revue de l’expertise judiciaire et privée, traitant de sujets de fond intéressant la fonction d’expert dans sa diversité, et de sujets d’actualité.

L’IEEE (Institut Européen de l’Expertise et de l’Expert) a été créé en 2006 pour servir de cadre de réflexion et de proposition sur différents sujets concernant l’expertise judiciaire en France et en Europe : critères de qualification, compétences, modes opératoires, principes et types de procédures de désignation, formation, fonds documentaires, travaux universitaires. Ses travaux impliquent les experts, les magistrats, les universitaires du droit, et s’adressent aux justiciables et notamment aux entrepreneurs français et européens confrontés à l’expertise. Son objectif est d’étudier la place de l’expertise dans nos sociétés modernes au travers des sujets précités, pour élargir la réflexion aux expériences juridiques et historiques de tous les pays, en vue de l’élaboration d’une doctrine et d’une prospective qui ne peuvent s’envisager qu’à l’échelle européenne. Son comité exécutif est composé de membres allemands, belges, français, italiens, anglais, et néerlandais. Sous son égide se tiennent des colloques regroupant le CNCEJ et les organisations étrangères similaires, tel que EuroExpert, qui est une organisation professionnelle pluridisciplinaire présentant des associations européennes d’experts de 14 pays européens.

En conclusion, et comme son titre l’indique, le présent article n’a comme objet que d’être un aperçu très simplifié de ce que sont l’expertise judiciaire et l’expert de justice. Celui – ci est aussi fréquemment sollicité par des parties en tant qu’expert - conseil dans un contexte amiable. Dans ce cas, il est tenu au respect des dispositions de la norme NF X 50 – 110 de mai 2003 intitulée : « Qualité en expertise – Prescriptions générales de compétence pour une expertise », confirmée le 31 octobre 2013.

La fonction d’expert de justice n’est pas un métier, métier qui relève d’une profession nécessitant des compétences techniques, sur lesquelles elle est cependant assise. L’Ecole dispense à ses diplômés, architectes et ingénieurs, ces compétences techniques, qui sont le socle nécessaire et utile pour son exercice. Après 15 ans de celui – ci, avec à mon actif quelques 132 expertises judiciaires et privées, je ne peux qu’encourager mes collègues diplômés à s’y intéresser et à déposer leur candidature devant les juridictions.

Références et bibliographie :

Textes législatifs et réglementaires :

- Loi du 29 juin 1971 modifiée les 11 février 2004, 17 juin 2008, 22 décembre 2010 et 27 mars 2012

 - Décrets du 23 décembre 2004 et du 24 décembre 2012

- Décret du 13 août 2013 – Arrêté du 19 novembre 2013 relatif à l’inscription

- Arrêtés des 10 juin 2005, 12 mai 2006 et 19 novembre 2013 (nomenclature des rubriques expertales)

- Codes civil (CC) et de procédure civile (CPC), codes pénal (CP) et de procédure pénale (CPP), de commerce (CCOM), code de justice administrative (JCA)

- Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

- Traité sur le fonctionnement de l’union Européenne (TFUE)

 

Documents de la CNCEJ :

- Livre blanc de l’expert de justice (2011)

- Vade-mecum de l’expert de justice (édition 2015)

- L’expert de justice du XXIème siècle (mars 2017)

- En collaboration avec le CNB : l’expertise – mission, avis et usage (colloque du 11 mars 2016)

 

Autres documents :

- REVUE EXPERTS (éditions trimestrielles)

- De l’expertise civile et des experts – Michel OLIVIER (Edition BERGER – LEVRAULT Entreprise).

 

André KILLHERR (ST – TP 1970)