Bernard GABRIEL-ROBEZ (ST-M 1959) "Au temps des Cahédrales"

Au temps des Cathédrales

Le ROMAN d'ALCATEL

 

 

 

 

Bernard GABRIEL-ROBEZ (ST-M 1959)

Ancien chef des Méthodes de fabrication de 1967 à 1972

Professeur extérieur du BTE (association du Bureau des Temps Elémentaires), puis directeur du Contrôle de gestion d'ABS jusqu'en 1996

 

Ce texte revient sur les méthodes de rémunération des personnels entre 1919 et 2005 de la plus grande filiale d'Alcatel : née en 1919 au n°16 rue du Dôme à Strasbourg sous le nom de Le Téléphone Privé Sarl et après diverses pérégrinations (n°129 route de Colmar à Strasbourg, Wolfisheim,  Barr , n°2 rue de l'Arsenal à Strasbourg, rue Ulysse Gayan à Bordeaux pendant la guerre) , baptisée Telic  en 1927 (Téléphonie Industrielle et Commerciale ) elle se pose en 1955 au n° 206 route de Colmar (actuel n° 234 occupé par la CCI Campus formation Alsace) avant de déménager à Illkirch au n°1 route du Dr A. Schweitzer en 1988 ; l'usine est surnommée cathédrale d'Illkirch par les poètes. Elle prendra successivement les appellations Telic-Alcatel, Alcatel Business Systems (ABS), Alcatel Lucent Enterprise (ALE). La société est séparée de la maison-mère en 2015 lors de la fusion de la partie publique d'Alcatel dans Nokia. La partie dite privée d'Illkirch rachetée par Huaxin (Chine) s'appelle désormais ALE International et son personnel est essentiellement composée de cadres et d'employés en 2020.

En 2005, l'entreprise avait abandonné toutes ses unités de production en France et dans le monde.  

 

Du salaire au temps à la rémunération collective


 
Depuis plus de 60 ans les modes de rémunération des personnels directs, liés à un outil ou une machine de production, ont évolué avec les produits et avec la rude obligation d'améliorer la productivité. La chronologie ci-dessous retrace la longue et fastidieuse histoire des changements de méthode de calcul des revenus des opérateurs et des primes ou bonus, créés pour pousser leurs performances !

De tout temps, la rémunération du personnel a été un facteur important du coût des produits fabriqués. De nos jours le poids de la main d'oeuvre de production (VA ou valeur ajoutée), directe et indirecte, dans la composition du prix de revient d'un produit tend à se réduire. Il est compensé par la part grandissante de celui des matières achetées (MI ou matière incorporée). Et à une époque déjà éloignée, le mode d'élaboration des salaires du personnel relevait de temps accordés et passés sur le poste de travail par les ouvriers appelés « directs » ou « productifs ».

 Si à l'origine l'ouvrier recevait un salaire de base indépendant de la quantité produite (salaire au temps passé TP) ce sont les premiers essais de salaires aux pièces qui ont donné naissance à la fin du XIXème siècle au chronométrage industriel. Pratiqué généralement jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale le salaire aux pièces sous sa forme initiale tend à disparaître au profit de diverses formes de salaires avec primes.

L'intérêt des primes comme moyen d'action sur le rendement du travail est bien connu. Le passage du salaire au temps passé au salaire avec primes améliore le rendement de 20 à 30% selon le type de fabrication et la rapidité de l'ouvrier. Ce constat s'explique assez bien par le fait que, en l'absence de tout contrôle chronométrique, les exécutants alignent toujours consciemment leur activité sur les moins rapides d'entre eux. Mais le système de primes fait apparaître des servitudes assez lourdes relatives au temps standard ou temps alloué (TA) qui doit être précis et mis à jour en permanence pour « coller » aux améliorations du mode opératoire réalisées par le Bureau des Méthodes et par l'ouvrier lui-même. La dégradation du temps et l'augmentation artificielle et inégale du rendement sont préjudiciables au bon climat des ateliers. La gestion du personnel se complique. En particulier les mutations des opérateurs d'un poste à un autre entrainent obligatoirement une baisse de la qualité et une diminution considérable des primes de rendement, réduction qui doit être compensée par des primes spéciales d'adaptation accordées par la maîtrise aux personnes déjà anciennes dans l'entreprise. Les nouveaux embauchés bénéficient de primes d'apprentissage variables en fonction de la durée de leur formation et égales en général à la prime moyenne de la section où ils sont affectés.

Depuis la création de TELIC les modes de rémunération ont évolué avec l'automatisation des productions et des horaires de travail. Les systèmes diffèrent avec la catégorie de personnel :

 

  • Cadres ? Collaborateurs-Ouvriers indirects

 

          .1919-1964

Leur rémunération est basée sur un forfait mensuel jusqu'à 40 heures de travail par semaine. A concurrence de 48 heures une prime de 25% est accordée (et 50% au-delà ; cette situation n'était pas rare !)

A partir de 1964 les cadres ne bénéficient plus des heures supplémentaires mais les absences ne sont pas déduites (forfait total). Leur paie n'est plus distribuée par le chef direct, sous enveloppe, chaque fin de mois ?et en argent liquide !

 

       2-Ouvriers ( personnels directs)

 

Leur paie est basée sur l'économie de temps réalisée par rapport à une norme (un nombre de pièces ou un temps accordé). Après 1950 le salaire sera calculé en fonction des temps alloués, des temps passés selon plusieurs modes d'élaboration des primes qui évolueront ?avec le temps qui passe !

 

         .1919-1950

 

           Forfait à l'heure au temps passé :   S= so. x TP avec  so = salaire de base horaire

                                                                                                 S = salaire du mois

         .1950-1964 

                                                             

           Boni intégral basé sur l'économie de temps par rapport au temps passé     

                                                                     S = So x TP+ so (TA-TP)                                                                                   

                    Le salaire horaire unitaire est alors de

S = so x (1+ TA-TP)       

                                                                                         TP                            

                    La prime   so x TA-TP   s'ajoute au salaire de base        

                                              TP

 

  Si TP diminue, le salaire augmente plus vite que la baisse de temps selon une loi hyperbolique de forme a/x. En réduisant par exemple le temps passé de :

   25% : le salaire est majoré de 25 soit 33%

                                                            75

40% : le salaire est majoré de 40  soit 66%

                                             60             

                  Le temps alloué est déterminé à l'aide de l'équation suivante :

 

  TA= TP x DP x JA x a x 1,2

                 TP =   temps passé

                 JA = coefficient de correction de l'allure (Jugement d'Allure) . Méthode BTE : 

                       JA=100 correspond à la vitesse d'un piéton marchant « normalement » à 5 Km/h

                 DP = Dynamométrique ­- Position. Coefficient tenant compte de la pénibilité du     travail. Ce temps de repos est toujours > 1,08

                  a =  coefficient d'aléas relatif aux temps auxiliaires tels que  préparation,  contrôles    aléatoires, incidents?.

      

Le coefficient k=1,2 garantit un salaire de 20% au-dessus du minimum garanti si les temps alloués sont corrects (poste stabilisé, personnel entraîné) et si l'opérateur travaille « normalement » (allure 100 BTE), sans aléas exceptionnels qui seraient alors rémunérés avec la « prime moyenne » obtenue le mois précédent.

 

La paie du salarié horaire est encore distribuée par le chef direct, sous enveloppe, tous les dix jours ?et en argent liquide. Mais la forte motivation du personnel permettait aux rendements, donc aux salaires, de franchir une barre qui était considérée comme inaccessible lors de la mise en place des temps. Un risque d'emballement des cadences entraînait un surmenage préjudiciable à la santé des opérateurs et à la qualité des produits. Aussi un nouveau mode de calcul du salaire est élaboré à partir de 1964, le système Rowan :

 

           .1964 à 1993

 

         Boni Rowan   basé sur l'économie de temps par rapport au temps alloué                                                                

                    S = So x TP + so x TP (TA-TP)          

                                                      TA

                  Le salaire horaire unitaire est alors de

                    S =    so x (1+ TA-TP

                                           TA

                  La prime so x TA-TP s'ajoute au salaire de base        

                                         TA               

 

Si TP diminue, le salaire augmente aussi vite que la baisse de temps selon une loi linéaire de forme ax. En réduisant par exemple le temps passé de :

      25% le salaire est majoré de 25%

      40% le salaire est majoré de 40%

Pour éviter le phénomène de course à la prime celle-ci a été limitée à 25% à Strasbourg et à 35% à Woerth (filiale SEMS)

 

Mais en 1972 une révision des temps alloués s'impose. Ils ne correspondent plus à la réalité parce qu'ils n'ont pas tous été modifiés lors des changements de mode opératoire ou de changements d'outils ou parce que les produits fabriqués ont évolué. Une baisse générale des TA est mise en oeuvre. Cette « mise à plat » fait disparaître le coefficient k=1,2 mais les salaires de base sont majorés en conséquence pour compenser la baisse des temps requis. L'opération de grande envergure s'accompagne d'une révision des classifications du personnel.

 

Entre-temps un accord national interprofessionnel sur la Mensualisation vise à apporter au personnel ouvrier des garanties sociales équivalentes à celles du personnel mensuel. Aussi à compter du 1° octobre 1978 la rémunération des ouvriers devient mensuelle et indépendante du nombre de jours travaillés dans le mois. Mais la mensualisation n'exclut pas les divers modes de calcul du salaire au rendement, donc du boni.

 

 

 

       3-Ouvriers,Techniciens d'atelier directs ou indirects                                      

          liés  aux unités  de fabrication    

   

         .1993 à 2005

        

L'automatisation des ateliers et un contexte économique complexe (rationalisation des coûts, stagnation de la demande du marché résidentiel du téléphone et des centraux, baisse des marges et des résultats) imposent la suppression des rendements individuels au bénéfice d'un système de prime collective appelé « Bonus par Objectifs ». Initialisé après la mise en place de PRIMA (Pour une Réponse Intégrale Aux Marchés d'Alcatel) le bonus devient une démarche de progrès permanent. Le montant de cet intéressement est indépendant de la classification et du salaire de l'individu. Cette gratification versée par l'employeur est bénévole et exceptionnelle. Elle est attribuée au prorata des temps de présence de chaque ouvrier.

 

Lors de l'initialisation de ce système les anciennes primes Rowan ont été incorporées au salaire pour établir la nouvelle rémunération de base du personnel mensualisé selon des modalités décrites dans un livret blanc du 21 Octobre 1993.

 

Ce bonus est un système de pilotage de l'Unité où sont fixés des objectifs de progrès. Il varie en fonction des performances collectives réalisées et de la présence du salarié :

          - la productivité de l'Unité    Somme des temps alloués produits par l'Unité      

                                                         Somme des temps de présence de l'Unité

          - le % de commandes acceptées livrées dans les délais

          - la qualité des produits fabriqués (« bon du premier coup » ou First Pass Through (FPT)

 

Calculés d'abord par la DRH, les bonus d'objectifs sont du ressort de la Direction industrielle depuis 2003. En 2004 le montant moyen attribué ne dépasse pas 80 ? par mois?.

 

En 2005, la rémunération du personnel ne se pose plus : les ateliers de production ont disparu avec leurs opérateurs.

 

 Bernard GABRIEL-ROBEZ

 Directeur en retraite du Contrôle de Gestion d'ABS de 1979 à1996